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Pourquoi l’étude SPRINT n’aurait jamais dû permettre de changer les recommandations sur l’hypertension artérielle aux USA?
Cette étude, l’étude SPRINT, que je qualifierais de téléguidée, était destinée depuis le début à rendre acceptable la modification des seuils définissant l’hypertension en population générale.
Malgré ses innombrables biais et malgré les critiques qui se sont élevées partout dans le monde de la part des cardiologues eux-mêmes, l’ARBITRAIRE ET LES CONFLITS D’INTÉRÊTS ont prévalu sur la science, l’intérêt général et la santé publique.
Rappelons que cette étude, publiée en novembre 2015 dans le NEJM après avoir été interrompue prématurément à cause de résultats présentés comme excellents et « game changing » est une étude qui prétendait démontrer qu’abaisser la pression artérielle systolique en dessous de 120 mm Hg chez des personnes non diabétiques avec un traitement intensif (généralement trois médicaments ou plus) apportait des bénéfices certains en termes de réduction d’évènements liés aux complications de l’hypertension artérielle (HTA) tels qu’infarctus du myocarde, angor etc.
Les précédents seuils aux USA pour définir l’hypertension et déclencher le diagnostic et la prescription d’un traitement étaient à 140/90 et sont passés, en novembre 2017, malgré les nombreuses critiques suscitées par l’étude SPRINT, à 130/80.
C’est donc désormais 46% de la population des USA, au lieu de 32%, qui est considérée comme hypertendue et doit être traitée, dont 30% des adultes de moins de 45 ans (Pour les moins de 45 ans, la proportion de personnes relevant d’un traitement anti-hypertenseur a été multipliée par deux chez les femmes et par trois chez les hommes).
Premier indice qui montre que le but était, dès le départ, de changer les recommandations : le premier auteur de cette étude SPRINT, Paul Whelton, était aussi le président du comité de l’American Heart Association chargé de rédiger les recommandations en matière de traitement de l’hypertension artérielle.
L’étude SPRINT elle-même a donc porté sur un ensemble sélectionné selon de multiples critères de patients hypertendus de plus de 50 ans, souvent obèses (IMC moyen proche de 30), et a comparé un groupe traitement standard à un groupe traitement intensif.
À cause des critères de sélection multiples, le groupe de patients retenus pour l’étude ne pouvait être présenté comme représentatif que de 15% de la population hypertendue américaine. Les critères de sélection étaient si compliqués que le seul processus de recrutement des patients de l’étude s’est prolongé pendant deux ans.
Le critère de jugement permettant de comparer les deux groupes était un critère composite, c’est-à-dire comprenant plusieurs évènements cardio-vasculaires différents.
L’étude a été entachée d’un nombre incroyable de biais qui, chacun pris séparément, auraient dû invalider l’ensemble de l’étude. Tous les biais sans exception tendaient à favoriser la mise en évidence de résultats positifs pour cette étude et à justifier un changement dans les seuils définissant l’hypertension.
Outre les biais de sélection initiaux, excluant toutes les populations connues pour ne pas bénéficier de traitements intensifs de l’hypertension, comme les diabétiques, ou les patients avec antécédents d’AVC, on peut citer:
- absence d’aveugle, c’est à dire que patients et médecins savaient dans quel groupe chaque patient se trouvait,
- suivi plus intensif du groupe traité intensivement (tous les mois contre tous les 3 mois),
- modification du traitement d’un tiers des patients du groupe standard afin d’AUGMENTER leur pression systolique pour l’élever au-dessus de 13 (critère de recrutement),
- exclusion du critère composite de jugement des critères ayant un résultat défavorable comme la survenue au cours de l’étude d’une insuffisance rénale,
- les effets indésirables fréquents de ce type de traitement affectant la qualité de vie des patients (asthénie, vertiges… ) n’ont pas été pris en compte,
- la mesure de la pression artérielle (PA) a été faite de manière automatisée, en l’absence des médecins, ce qui sous-estime la PA par rapport à la prise de PA par un médecin. La conséquence de ce point est qu’un patient ayant 12 de PA avec cette modalité de mesure aurait eu 13 de PA avec la prise de PA classique, et aurait été traité.
Le critère composite de jugement était le suivant :
- infarctus du myocarde,
- syndrome coronarien aigu (n’entraînant pas un infarctus du myocarde),
- AVC,
- insuffisance cardiaque aiguë ou
- décès dus à une cause cardiovasculaire.
Sur cet ensemble de critères, le résultat positif de l’ensemble de l’étude pour le critère composite était dû pour 60% à la seule insuffisance cardiaque. Or, l’amélioration des résultats sur l’insuffisance cardiaque pouvait s’expliquer par l’adjonction de diurétiques au traitement, indépendamment de la baisse de PA. En revanche, sur d’autres critères faisant partie du critère composite comme sur l’infarctus du myocarde, l’insuffisance coronarienne et les AVC, il n’y a pas eu d’amélioration significative après trois ans de traitement.
Au total, si on regarde le NNT , number needed to treat, c’est à dire le nombre de personnes qu’il faut traiter pour obtenir un résultat favorable sur une d’entre elles sur un des évènements du critère composite au moins1voir l’article sur notre site : La plupart des patients ne bénéficient pas des médicaments qu’on leur prescrit – Medcritic, il est de 50 . Cela veut dire qu’il faut traiter 50 personnes pendant trois ans en alourdissant le traitement antihypertenseur pour que l’une d’entre elles apparaisse en tirer un bénéfice. Mais cela dans le cadre de tous les biais décrits, ce qui signifie qu’en réalité on ne peut pas savoir si le résultat est dû au traitement lui-même ou bien aux biais de l’étude qui ont permis d’infléchir les résultats dans un sens favorable au groupe traité intensivement.
Le NNH, number needed to harm, nombre de personnes qu’il faut traiter pendant trois ans avec un traitement intensif versus traitement standard de l’hypertension pour qu’une personne subisse un effet indésirable, est de 13. Ces effets indésirables incluent des effets indésirables graves tels que syncopes et insuffisance rénale.
Si la American Heart Association a passé outre tous ces détails et décidé de changer les recommandations, c’est que les membres de cette association ont des conflits d’intérêts financiers avec l’industrie pharmaceutique. 30 000 cardiologues américains ont perçu de l’argent de l’industrie pharmaceutique, et pour 846 d’entre eux plus de 50 000 $.
Il vaut mieux le savoir et le comprendre parce que l’offensive pour changer les recommandations concernant l’HTA en Europe et en France ne va pas tarder. En effet, il n’y a que 31% de la population adulte traitée pour HTA en France, une situation parfaitement intolérable pour l’industrie pharmaceutique.
Le marché de l’hypertension est en plein boom et les GAFAM2Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft attendent en embuscade avec leurs applications, leurs appareils connectés intelligents, plus les services de télémédecine.
Le marché US de l’hypertension, espèrent Big Pharma et les GAFAM, va passer de 50 milliards de dollars en 2016 à 109 en 2018.
Abaisser les seuils de l’HTA et du traitement, c’est créer un marché de toutes pièces et garantir des dépenses élevées et inutiles avec une augmentation des risques pour les personnes traitées pour des pressions artérielles plus basses sans garantie de bénéfices.
Post scriptum: Ce problème, de l’abaissement des seuils ne se limite au traitement de l’hypertension. Il s’étend à toutes les maladies, très fréquentes dans la population, qui sont définies par des critères subsidiaires, comme l’hypercholestérolémie et le diabète et dont le seuil retenu par les recommandations marque le passage du sain au pathologique.
Pour aller plus loin, cet article de Gilbert Welch qui explique comment le rapport bénéfice-risque d’un traitement se détériore au fur et à mesure qu’on diagnostique comme malades et l’on traite des personnes ayant des atteintes de plus en plus légères.
Et voici un calculateur de risque interactif, adapté aux Américains du Nord, mais qui permet de voir comment le risque moyen de maladie ou évènement cardio-vasculaire à 10 ans d’un groupe ayant certaines caractéristiques qu’on peut choisir, se modifie en fonction de critères tels que l’âge, le sexe, le tabagisme, le taux de cholestérol ou les antécédents familiaux, mais aussi en fonction de critères protecteurs tel que l’exercice physique ou la diète méditerranéenne (1 choix à la fois).
Twitter est un réseau social qui permet à l’utilisateur d’envoyer des messages courts (tweets) n’excédant pas 280 caractères (ce qui explique l’emploi fréquent d’abréviations). Un thread Twitter est une série de tweets qui se succèdent, émis par un même auteur pour former un contenu plus long. L’auteur peut d’ailleurs numéroter chaque tweet pour les ordonner. Cet article est une reprise sous format blog d’un thread Twitter dont voici l’origine :