Article adapté d’un thread Twitter – en savoir plus
Le virologue allemand Christian Drosten est un spécialiste reconnu des coronavirus, famille à laquelle appartient le Sars-Cov-2. C’est en cette qualité qu’il a participé, en tout début de l’année 2020, à quelques talk-shows télévisés très suivis outre-Rhin. Mais, explique-t-il, ces émissions ne permettant pas de développer sa pensée en raison d’un temps de parole trop court, il accepte la proposition de la radio locale NDR de faire une synthèse des dernières études sur le sujet dans un podcast. C’est ainsi que naît fin février 2020 le « Coronavirus Update » où Drosten fait le point sur les nouvelles études concernant la vie du virus, les modes de transmission, les personnes à risque, les tests, l’immunité, les vaccins, les données épidémiologiques (Rt, événements super propagateurs, stochastique, effet de seuil), le contact-tracing, mais aussi ce qu’il convient de faire.
Les épisodes furent d’abord quotidiens, mais le temps de préparation devenant de plus en plus prenant, le rythme fut ralenti: tous les deux jours, puis deux fois par semaine, puis une, et depuis septembre 2020, en alternance avec une autre virologue, Sandra Ciesek.
Le succès est rapidement au rendez-vous: plusieurs centaines de milliers de personnes écoutent chaque épisode, l’émission est primée plusieurs fois, et Drosten a même été décoré pour sa communication scientifique en direction du public. Fin avril 2021, les 86 épisodes totalisent 100 millions d’écoutes.
S’il lui arrive de s’exprimer dans les médias ou sur son compte Twitter, Drosten utilise ce podcast comme la référence à utiliser pour qui souhaiterait connaître son avis. Il suffit de se référer au script qui fait désormais plus de 900 pages.
Voici quelques-uns des thèmes abordés au fil du temps, parmi ceux qui ont été très débattus en Allemagne. Contrairement à la France, il n’y a pas eu d’engouement pour l’hydroxychloroquine. L’étude du Pr Raoult de début 2020 avait été évaluée comme souffrant de biais méthodologiques et par conséquent non concluante.
Masques, aérosols
Drosten a alerté assez tôt sur l’importance des masques et le rôle de l’air ambiant en intérieur.
En février 2020 il disait que ça n’avait pas d’intérêt pour se protéger, surtout dans une période où il en manquait dans les hôpitaux. Peu de temps après, il précise que le masque, même en tissu, peut protéger autrui se trouvant à proximité si jamais on tousse ou éternue. C’est courant de le faire en Asie, mais en Europe ça demanderait un changement culturel. Donc installer les parois dans les magasins pour protéger les caissières est une bonne chose. Distribuer des masques au public n’a donc d’utilité que si chacun en porte un, car ils protègent les autres.
Fin mars 2020, à la question d’un port généralisé du masque, il pense que ce serait utile, en raison de la contamination par des présymptomatiques (on est contagieux deux jours avant le début des symptômes). Un masque fait maison, ou une écharpe, sont à privilégier pour ne pas priver les professionnels de santé qui manquent de masques. Il raconte porter lui-même un masque en tissu fait maison (offert par ses collègues de l’hôpital) quand il fait ses courses. Il ajoute qu’il s’agit là d’un geste de courtoisie envers les autres.
Début avril 2020, il parle longuement des masques et de leur capacité à éviter une trop grande dispersion des gouttelettes et des aérosols, lesquels pourraient contenir du virus infectieux.
Quelques jours plus tard, il encourage les gens à fabriquer leur propre masque et à le porter.
En mai, il donne une évaluation personnelle de la part des contaminations par les aérosols: presque la moitié. L’autre moitié serait due aux postillons. En effet, en respirant ou en parlant, on produit des particules de taille variable, certaines tombent par terre, mais d’autres flottent dans les airs. Le manuportage serait responsable du reste des contaminations, soit environ 10%. Il est donc très important d’aérer les espaces intérieurs.
En terrasse, l’activité des restaurateurs est possible sans trop de distanciation; les 2 mètres en extérieur ne sont pas nécessaires.
Écoles, enfants
La question de savoir s’il fallait fermer les écoles pour lutter contre la diffusion du virus s’est posée assez tôt. Début 2020, Drosten disait qu’il n’était pas nécessaire de fermer les écoles, que prendre des mesures ralentissant la progression du virus suffirait, à condition de les prendre partout, y compris par exemple les clubs de sport…
De plus, fermer les crèches et les écoles provoquerait trop de dégâts collatéraux (surtout économiques, les parents ne pouvant plus travailler) sans apporter de solution, puisque les enfants seraient en contact entre eux ailleurs. Il dit qu’il faut plutôt dépenser de l’énergie à protéger les personnes vulnérables.
Au cours du mois de mars 2020, alors que les politiques consultent les experts -dont lui- à propos de la fermeture des écoles (elles le seront le 17 mars), il commence à changer d’avis après la lecture d’un article sur la grippe espagnole où la fermeture des écoles aux USA, entre autres mesures, avait grandement aidé. Les groupes de jeunes qui continuent tout de même de se voir sont alors plus petits et il y a moins de brassage. Pour lui, cela mérite réflexion.
Dans un épisode suivant, il parle d’une modélisation de l’Imperial College qui étudie une fermeture des écoles et des universités pendant 5 mois. Il estime que ce serait beaucoup trop long et ne ferait que déplacer le problème dans le temps.
Fin avril commence une série d’épisodes où Drosten parle longuement des enfants. Pour lui, il est évident que les enfants se contaminent autant que les adultes, mais on ne sait pas s’ils excrètent autant de virus. Si les études montrent un taux de contamination moindre des enfants, c’est parce que les enfants ne sont pas testés car peu symptomatiques. De plus, avec des écoles fermées un peu partout dans le monde, il est normal de constater des taux de contamination plus faibles chez les enfants, ainsi qu’une contamination adultes vers enfants. Donc cette impression que les enfants ne sont pas concernés est fausse.
Le temps lui donnera raison, puisque les études de séroprévalence (ou les tests systématiques effectués en Angleterre) montreront que l’incidence se répartit de manière égale dans les classes d’âge.
Quant à la question de la diffusion du virus, à savoir, est-ce pareil qu’avec la grippe, où les enfants jouent un rôle important? Une façon indirecte de répondre à cette question est de comparer les charges virales des enfants et des adultes. Son étude sur le sujet paraît en preprint fin avril et elle conclue à une absence de différence. Donc les enfants pourraient être aussi contaminants que les adultes. Laisser les établissements scolaires ouverts est pour lui un risque, mais leur seule fermeture, bien qu’elle apporte beaucoup à la lutte contre la diffusion du virus, ne suffit pas.
D’autres études montrent que l’âge semble jouer un rôle: la contagiosité des adolescents est la même que celle des adultes. Celle des jeunes enfants, en revanche, serait un peu moindre. Idem pour leur susceptibilité, laquelle est compensée chez les plus jeunes par des contacts plus fréquents.
Il est donc possible d’ouvrir les crèches et les écoles primaires, en prenant des précautions, surtout si un membre de la famille ou du personnel éducatif est à risque.
Fin mai, le journal à scandale “Bild” titre sur des “écoles fermées en raison d’une étude grossièrement fausse”. L’étude de Drosten (sur la charge virale des enfants) serait, selon le tabloïd, “critiquée par ses propres confrères” et utiliserait des méthodes “douteuses”. L’occasion pour lui d’expliquer sa méthode, et de revenir sur le processus de revue par les pairs. Il reviendra plusieurs fois sur cette affaire, à l’occasion d’autres attaques de ce journal.
Au même moment, la prise de position des pédiatres allemands, inquiets quant aux conséquences négatives de la fermeture des écoles sur le développement des enfants, l’amène à prendre en compte cet aspect et à faire des propositions très concrètes pour ouvrir les écoles: port du masque, allégement des groupes classe, récréations décalées, bien aérer les classes, pooling des enseignants, tests réguliers des élèves… à partir de ce moment, il semble évident pour lui que les écoles doivent rester ouvertes, les seules questions à résoudre pour lui étant: que faire pour éviter les contaminations? comment les découvrir à temps et empêcher la diffusion du virus? Quasiment chaque épisode de podcast de l’été développe des solutions en ce sens.
Il est cependant impensable de rouvrir les écoles sans protocole; en août il cosigne un texte de la société de virologie destiné à alerter l’opinion publique.
Début décembre, à quelques jours de la fermeture des écoles, il parle assez longuement d’enseignement hybride (une partie en présentiel, l’autre en distanciel) pour les collégiens et lycéens.
Que cela n’ait pas été fait, ou partiellement, suscite en lui de l’incompréhension, comme il le dit dans cet entretien au Spiegel fin janvier 2021:
Les dernières fois qu’il a abordé le sujet, (fin janvier, puis début février) c’était pour déplorer la fermeture pure et simple de toutes les écoles, surtout les maternelles et primaires. Il a expliqué que les enfants n’étaient pas les “moteurs” de la pandémie, comme c’est le cas lors des épidémies de grippe. Et qu’on aurait pu autoriser une ouverture partielle, imposer davantage de télétravail pour compenser.
Depuis, il n’a plus évoqué ce sujet, au profit de la vaccination et des variants.
Dangerosité du virus, puis des variants
Drosten ne fait pas partie de ceux qui ont vu l’apparition du Sars-Cov-2 comme une catastrophe pour l’humanité, ou au contraire comme une simple “grippette”. Et maintenant que les médias se délectent à rapporter la moindre mutation, il tient un discours rassurant.
Début 2020, la ville de Wuhan est placée sous quarantaine, puis certaines villes de Lombardie. Pour Drosten, il convient de distinguer le danger pour le système de soins et la société, et pour l’individu, sinon on surréagit. Le risque individuel est très faible. Jusqu’en mars, il répète qu’un confinement en Allemagne n’est pas nécessaire, que ce serait surréagir, et qu’il serait trop dommageable économiquement. Par contre il ne l’exclut pas ultérieurement, lorsque le virus sera en train de se diffuser dans toute la population. En attendant, il convient de protéger les plus vulnérables et d’interdire les grands rassemblements.
Ce sont les plus de 80 ans qui sont particulièrement à risque : 20-25 % d’entre eux risquent de mourir s’ils se contaminent; 7 à 8% des 70 à 80 ans, et 3% des 60 à 70 ans.
En mars paraît la modélisation de l’Imperial College dont une des conclusions est qu’il n’est pas possible de protéger les vulnérables de manière ciblée, car ces personnes n’accepteraient pas de rester isolées alors que les autres vivent normalement. La moitié ne le ferait pas, et on aurait alors un problème de capacité hospitalière et un nombre de respirateurs insuffisant. C’est donc l’affaire de la société dans son entier de les protéger.
La mortalité est plus élevée qu’avec la grippe, il n’est donc pas raisonnable de laisser le virus courir dans la population, néanmoins, les mesures doivent être proportionnées, équilibrées.
Fin avril, il annonce qu’il y aura une deuxième vague à l’automne et qu’il faudra à nouveau prendre des mesures en hiver. En effet, le virus va se diffuser lentement durant l’été dans une population immunologiquement naïve, et provoquer une deuxième vague lorsque tout le monde se retrouvera en intérieur.
En ce qui concerne les variants, ou mutations, cela ne l’a jamais vraiment inquiété. Depuis le printemps 2020, il répète que ces changements ne sont pas un souci. Les mutations effectuées par le virus ne sont pas telles qu’elles compromettent l’efficacité des vaccins ou de l’immunité post-infection. L’immunité n’est pas constituée des seuls anticorps, mais aussi des cellules T, laquelle est très robuste. Même si réinfection il devait y avoir, et il y en aura forcément avec les variants qui échappent partiellement à l’immunité, l’évolution de la maladie se déroulerait de façon bénigne pour une écrasante majorité.
Il explique à chaque fois quels sont les biais dans les données ou les études, ce qui est assez précieux à une époque ou les médias ou les réseaux sociaux se jettent sur le spectaculaire et présentent les faits de manière anxiogène (enfants et variant anglais, AstraZeneca et variant sud-africain, Manaus et variant brésilien, et dernièrement Inde et variant indien). Lorsque le variant anglais faisait les gros titres des médias, il n’a d’abord pas cru à sa plus grande transmissibilité ou dangerosité, car la manière dont les données avaient été collectées laissait planer un doute. Un peu plus tard, lorsqu’elles furent consolidées, il a admis ces caractéristiques du B.1.1.7.
Tous les vaccins autorisés en Europe protègent d’une forme grave, quel que soit le variant, car la perte d’immunité via les cellules T (qui protègent des formes graves) est faible. Mais cela ne signifie pas que les vaccins ne peuvent pas être améliorés (ce qui viendra en automne).
Il y a une chose qui le préoccupe un peu, c’est la levée l’été 2021 -à cause de la pression sociale- des restrictions lorsque les groupes à risque auront été vaccinés. Il y aura alors quantités d’adultes de 40 à 60 ans qui seront contaminés, qui devront rester au lit, voire auront des séquelles sur plusieurs mois (Covid Long) ou devront être hospitalisés. Cependant, un tel scénario ne justifiera pas d’être obnubilés par l’incidence générale, comme ce fut le cas sur l’année passée en raison de la situation sanitaire.
À plus long terme, le virus deviendra endémique. Il ne représentera plus de danger une fois les groupes à risque vaccinés, éventuellement avec une “mise à jour” du vaccin pour les personnes les plus vulnérables. Avec les années et les infections successives, les gens développeront une immunité solide. Le virus ne devrait pas drifter, comme le fait celui de la grippe. Les variants capables d’échappement immunitaire (comme le sud-africain par exemple) devraient se diffuser dans une population immunisée sans faire d’autres dégâts que provoquer de gros rhumes.
Conclusion
“Mitdenken”, littéralement “penser avec”. Un verbe que Drosten utilise souvent. Il est important que les gens soient bien informés, pour qu’ils puissent être acteurs de la lutte contre la diffusion du virus.
Pour en savoir plus
Traduction en français du podcast
Depuis fin avril 2020, je traduis quasiment in extenso chaque épisode du podcast de Christian Drosten. Lorsqu’ils sont très longs, je les diffuse en deux parties, ou juste les extraits les plus importants.
Contenu
3 comments
Merci beaucoup! Très intéressant!
Très intéressant et nécessaire pour mieux comprendre et modérer nos points de vue. Je ne suis pas scientifique, mais n’accepte pas la doxa les yeux fermés, je préfère mesurer la vérité de chacun pour mettre à jour la mienne au quotidien.
Bonjour
Du point de vue du suivi de la vaccination, sait-on comment sont calculés les chiffres de Santé publique France ?
Je précise mon idée. S’ils sont calculés en additionnant le nombre de 1res et 2es doses effectuées chaque jour, cela avait un sens sur une durée courte. Cela n’en a plus après six mois maintenant. En effet, chez les plus âgés en particulier, une proportion non négligeable des personnes est de toute façon décédée, quelle qu’en soit la cause,soit entre les deux doses soit après la deuxième dose. Il devient nécessaire d’en tenir compte pour savoir quel pourcentage de la population est vacciné. Il faut donc maintenant absolument déterminer combien de gens sont décédés après le vaccin.
Cordialement