Article adapté d’un thread Twitter – en savoir plus
Résumé de l’article intitulé : “La santé publique de précision, les nouveaux habits de l’empereur”.
Brillant article anglais qui déconstruit le hype autour de la médecine de précision comme nouveau paradigme de santé publique par David Taylor Robinson et Frank Kee publié dans l’International Journal of Epidemiology d’Oxford
Dans une publication de 2015, le CDC américain annonçait une révolution dans les approches de santé publique, en relation avec la médecine de précision et l’accès aux facteurs de risque génétiques.
L’article de D. Taylor Robinson est structuré autour des promesses de la médecine de précision et de ses applications en santé publique. La médecine de précision serait: «prédictive, préventive, personnalisée et participative.»
La médecine de précision sera-t-elle prédictive et permettra-t-elle d’anticiper les risques individuels?
Non, car elle ne fera que STRATIFIER la population en groupes selon un facteur de risque génétique, ce que la santé publique sait déjà faire avec d’autres facteurs de risque.
D’autre part, les résultats d’une intervention au niveau individuel sont imprédictibles et des individus avec un risque de base semblable peuvent tirer des bénéfices très variables d’une intervention.
Enfin, pour qu’un facteur de risque permette une discrmination et donc une prédiction au niveau individuel il faudra que son odds ratio1odds ratio (OR) est une mesure statistique, souvent utilisée en épidémiologie, exprimant le degré de dépendance entre des variables aléatoires qualitatives. Un odds ratio : < 1 signifie que l’événement est moins fréquent dans le groupe A que dans le groupe B ; = 1 signifie que l’événement est aussi fréquent dans les deux groupes ; >1 signifie que l’événement est plus fréquent dans le groupe A que dans le groupe B. atteigne au moins 50 [niveau atteint probablement uniquement pour les maladies monogéniques].
En deuxième lieu, la médecine de précision sera-t-elle préventive et personnalisée?
Pour qu’une intervention soit préventive il faut la mettre en œuvre. Or, communiquer un risque génétique ne permet pas de changer les comportements des individus comme l’a montré une revue de la littérature de Hollands.
Les mêmes difficultés interviennent pour n’importe quelle situation où l’on cherche à modifier le comportement d’un individu dans un but préventif. Ces difficultés ne sont pas modifiées par une information supplémentaire sur les risques.
La médecine de précision sera-t-elle participative?
Cela requiert, encore une fois, des connaissances et compétences qui n’ont rien à voir avec la médecine de précision, comme la prise en compte des valeurs et préférences du patient.
Un aspect est également totalement oublié dans cette approche qui veut qu’il y ait un changement de paradigme en santé publique : le rôle des déterminants sociaux de santé.
Celui-ci a été modélisé par Galton, sous forme de Quincunx, qui montre qu’une distribution normale peut être générée par un processus randomisé.
À partir du même point de départ, les individus, représentés par des billes, vont arriver à différents points et la disposition finale est fonction de la position des épingles sur leur chemin
Cela modélise le rôle de l’organisation sociale et des facteurs sociaux dans les parcours individuels, y compris dans le domaine de la santé.
Et, déjà, on nous place devant le faux dilemme de l’inégalité d’accès à la médecine de précision.
La réalité est que nous disposons déjà d’un grand nombre de connaissances qui sont très insuffisamment exploitées dans les politiques de santé publique pour mieux identifier et suivre les groupes qui nécessitent des interventions préventives.
Le NHS britannique ne dépense que 5% de son budget en prévention et la part du budget de la recherche alloué à la prévention ne représente que 4%.
Se focaliser sur la médecine de précision, aux coûts très excessifs pour des résultats très improbables, ne ferait qu’aggraver cette iniquité et détourner les fonds publics de là où ils seraient vraiment utiles.
Commentaires personnels
On voit qu’une fois encore, les mêmes mécanismes sont à l’œuvre :
1-Survaloriser et surestimer l’utilité potentielle d’interventions de haute technicité à très très forte valeur ajoutée.
2-S’adresser aux individus en tant que consommateurs en leur faisant des promesses irréalistes basées sur des présupposés faux (les facteurs génétiques sont des facteurs de risque parmi d’autres et le plus souvent leur impact réel sur la santé est très mal connu).
3-S’employer à marchandiser divers secteurs qui relèvent de l’intervention publique (ici la santé publique) en substituant des interventions coûteuses et incertaines à des interventions plus simples et moins onéreuses mais également moins rentables.
4-Utiliser les moyens publics pour financer ces bulles biomédicales et détourner ainsi l’argent public d’objectifs plus utiles au bien public.
5-Nier le rôle des politiques de santé et de la politique en général en lui substituant une sorte de paradis scientiste avec, en son centre, un individu à qui l’on fait miroiter le rôle de consommateur roi dont tous les désirs seront soi-disant satisfaits.
La médecine de précision présentée comme une révolution de la santé publique c’est simplement l’imposture du scientisme du 21ème siècle et sa capacité de nuisance dans toute sa splendeur.
Twitter est un réseau social qui permet à l’utilisateur d’envoyer des messages courts (tweets) n’excédant pas 280 caractères (ce qui explique l’emploi fréquent d’abréviations). Un thread Twitter est une série de tweets qui se succèdent, émis par un même auteur pour former un contenu plus long. L’auteur peut d’ailleurs numéroter chaque tweet pour les ordonner. Cet article est une reprise sous format blog d’un thread Twitter dont voici l’origine :
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