« Veut-on en finir avec l’hôpital public ? » s’exclamait Frédéric Valletou, président de la Fédération hospitalière de France (FHF), dans Les Echos du 14 novembre 2019. Et de mettre en évidence le malaise de l’hôpital : de moins en moins de temps consacré à chaque patient, insuffisance des investissements et vétusté du matériel, surcharge des services d’urgence…
C’était avant la pandémie de Covid 19. Depuis, tout le monde en convient : si les confinements ont été nécessaires, c’est pour épargner l’hôpital qui risquait d’imploser. Depuis, et au prix d’un déficit d’une ampleur inédite, le gouvernement a annoncé une augmentation du budget hospitalier. Sera-t-elle suffisante pour calmer le personnel de santé ? Rien n’est moins sûr. Pour cela, il faudra peut-être attendre la révision en profondeur du financement de l’hôpital public en France.
Le budget hospitalier : les efforts financiers consentis pour l’hôpital public sont-ils à la hauteur des attentes ?
L’augmentation du budget hospitalier
Après des années de restrictions budgétaires dans l’hôpital public, assistons-nous à un changement de paradigme ? Le 12 mars 2020, lors d’une allocution télévisée, le chef de l’État déclarait :
« Le gouvernement mobilisera tous les moyens financiers nécessaires pour porter assistance, pour prendre en charge les malades, pour sauver des vies quoi qu’il en coûte. »
Depuis, l’augmentation des dépenses de santé n’est plus un tabou. Ainsi, en juillet 2020, le gouvernement a annoncé un grand plan d’investissement pour l’hôpital. Il a été dévoilé lors des concertations du « Ségur de la Santé » en juillet 2020. Son montant sera de 19 Md€ sur dix ans. Il est financé par 13 Md€ de reprise de dette hospitalière par l’État. S’y ajoutent 6 Md€ de fonds européens dans le cadre du plan de relance communautaire. Un montant « sans précédent » a souligné Matignon (Les Échos du 9 mars 2021).
Question effectifs, le gouvernement a annoncé le recrutement de 15 000 personnes supplémentaires pour l’hôpital public. Par ailleurs, la crise sanitaire a généré un déficit abyssal de la Sécurité sociale, en particulier l’Assurance maladie. Ce dernier est, en effet, passé de 1,4 Md€ en 2018 à 48,4 Md€ en 2020.
Ainsi, l’objectif national des dépenses de santé (Ondam)1Le Parlement adopte l’Ondam chaque année et fixe le plafond des dépenses par secteur (soins de ville, hôpital…). s’est accru de plus de 9 % en 2020 par rapport à 2019. Il prévoit une nouvelle augmentation de plus de 3 % en 2021. La loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) 2021 prévoit, quant à elle, une hausse des dépenses de 3,3 % pour les hôpitaux. De plus, dans la LFSS, figure la revalorisation des salaires des personnels non-médicaux des hôpitaux et des Ehpad. Celle-ci permettra notamment aux personnels soignants de bénéficier d’une augmentation de 183 euros nets par mois. À cela, s’ajoutent des mesures sur le déroulement des carrières.
Le scepticisme des acteurs de la santé
Pourtant, malgré cette évolution favorable, le compte n’y est pas pour certains observateurs et acteurs du monde hospitalier. Selon eux, l’augmentation du budget hospitalier serait « en trompe-l’œil » :
- l’augmentation affichée sera largement obérée par la revalorisation salariale ;
- la reprise de la dette des hôpitaux ne représente qu’un tiers du total ;
- cette dernière est conditionnée par des plans de retour à l’équilibre, donc à des restructurations ;
- les 15 000 emplois supplémentaires serviront pour moitié au comblement des actuelles vacances de postes ;
- des restrictions budgétaires, évaluées à 805 M€, restent prévues dans le budget hospitalier ;
- les refus du gouvernement d’augmenter les recettes entraînera un ajustement budgétaire par une réduction des dépenses.
Le Collectif inter-hôpitaux dénonce, quant à lui, des mesures salariales insuffisantes. Selon lui, ces mesures ne permettront pas d’enrayer la fuite des personnels. Ainsi, les infirmières occupent la 28e place des rémunérations sur 29 dans le classement de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Les revalorisations du Ségur les amèneront au 18e rang seulement (Le Monde du 6 novembre 2020).
Au demeurant, on peut penser qu’après la pandémie de Covid 19, la logique de restriction budgétaire reviendra. En effet, l’objectif de réduction du nombre de lits (70 000 ces 10 dernières années) n’a pas disparu. Il est motivé par la volonté de désengorger l’hôpital en développant les soins de ville. À ce titre, le nombre de lits pour 1 000 habitants reste plus élevé en France que dans la moyenne des pays de l’Union européenne (Le Figaro du 18/11/2019). Pour Gaëtan Lafortune, économiste à l’OCDE, « de nombreuses hospitalisations […] pourraient être évitées » (France Inter, 2 avril 2020). Sont notamment concernés « les maladies chroniques, les affections liées au vieillissement et les petits problèmes réglés aux urgences ».
Le financement de l’hôpital public : la remise en cause de la tarification à l’activité ?
La gestion hospitalière : un exercice contraint
Le financement de l’hôpital public est largement assuré par des ressources publiques :
- le principal financeur est l’ Assurance maladie ; en 2019, 77 % des recettes de l’hôpital en provenait, c’est-à-dire 54 Md€ sur près de 70 ;
- les complémentaires santé et le tiers payant acquitté par les patients ne comptaient que pour 8 % du total ;
- Viennent s’ajouter des fonds qui ne dépendent pas du niveau d’activité. Ils sont versés par les agences régionales de santé (ARS). Il s’agit par exemple du financement du Samu ou des hôpitaux psychiatriques ;
- par ailleurs, les établissements publics de santé (EPS) n’ont pas la maîtrise de leurs tarifs, fixés par le ministère chargé de la Santé. Ils ne maîtrisent pas plus le salaire des employés. Souvent fonctionnaires, leur rémunération et leur avancement proviennent des grilles de la fonction publique.
En outre, la mise en concurrence des fournisseurs est souvent réalisée au niveau national, ce qui laisse une marge de manœuvre faible au niveau local. Autre particularité : l’Assurance maladie ne rembourse pas immédiatement les EPS de leurs dépenses. Elle applique un « coefficient prudentiel » qu’elle débloque en fin d’année si les hôpitaux ont respecté l’Ondam.
La tarification à l’activité, dit T2A, est une dimension fondamentale du financement des hôpitaux. La T2A a été introduite à partir de 2004 et remplace la dotation globale jugée inflationniste. Concrètement, le dispositif consiste à attribuer un prix aux séjours. Chaque malade est classé dans un « groupe homogène » (GHM) et correspond à un prix fixé chaque année. Concrètement, chaque fois qu’un patient est pris en charge, l’hôpital établit une facture qui dépend des actes effectués, de la durée de séjour, des raisons de l’hospitalisation, etc. À la fin de chaque mois, une liste est adressée à la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) qui verse l’argent correspondant. Ceci incite l’établissement à rester dans les limites du prix défini, voire en dessous, pour dégager des marges de manœuvre budgétaires.
Revoir la place de la T2A dans le financement hospitalier
Un effet pervers de la T2A : les hôpitaux ont intérêt à se concentrer sur les spécialités médicales les plus rentables. Par exemple, un malade soigné dans un service de chirurgie orthopédique sera plus rentable qu’un malade hospitalisé dans un service de médecine interne. Pour l’ex-ministre de la Santé, Agnès Buzyn, « Ce système a fait croire à l’hôpital public qu’il devait se concentrer sur des activités rentables, qu’il devait se sentir une âme d’entreprise » (Libération, 11 décembre 2017). Autre critique : la distorsion entre hôpital public et établissements privés. Ces derniers ont pu développer les activités les plus rentables là où l’hôpital public devait assurer des missions de service public. Il en est résulté une augmentation du déficit global de l’hôpital public et une explosion de sa dette.
Le rapport «Stratégie de transformation du système de santé » (septembre 2018) a lui aussi pointé les insuffisances des modes de financement actuels. Nommé par la ministre Agnès Buzyn, Jean-Marc Aubert, directeur de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques, a piloté le volet financement du rapport. Selon ses auteurs, ces derniers assurent globalement la productivité du système de santé. Ils ne permettent toutefois pas « de discriminer la qualité offerte ni d’assurer au bénéfice du patient une coordination efficace entre les acteurs ».
Le Ségur de la santé a marqué la nécessité d’adapter les modes de financement des dépenses de santé. Il s’agit de remplacer progressivement la tarification à l’activité par des dispositifs combinés. La loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) 2021 renforce la feuille de route engagée dès 2018 par « Ma Santé 2022 » . L’objectif est à terme une refonte complète des modes de financement.
Ainsi, la LFSS pour 2021 prévoit l’expérimentation sur 5 ans d’un modèle mixte de financement des activités hospitalières de médecine. Le nouveau dispositif combinera :
- une part de T2A ;
- une part de financement à la qualité ;
- une part de financement « populationnel » basé sur des critères de soins des patients du territoire.
Le nouveau dispositif concernera en premier lieu les patients souffrant de pathologies chroniques. Il doit notamment favoriser une gradation de l’offre de soins, un recours accru à l’ambulatoire et un renforcement des actions de prévention et de coordination.
À compter de 2021 les EPS qui s’engageront dans l’expérimentation bénéficieront d’une dotation à la place d’une partie de la T2A. Il s’agit d’une préfiguration du financement populationnel. La loi prévoit en outre une contractualisation entre l’établissement et l’ARS sur des objectifs précis.
Il est encore trop tôt pour tirer les enseignements de la réforme. Toutefois, nul ne doute que le financement de l’hôpital public restera une question centrale de l’après-pandémie.
Pour aller plus loin : Focus T2A
Qu’est-ce que la T2A, qui cristallise les tensions à l’hôpital ? Le Monde, 2017
La T2A, un mal qui ronge l’hôpital. L’humanité, 2009
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