Article adapté d’un thread Twitter – en savoir plus
Scientifiques et chercheurs transformés en entrepreneurs
Un sujet qui me semble important: le financement de la recherche publique et la poursuite du développement des connaissances en sciences fondamentales pour elles-mêmes.
Je suis d’autant plus à l’aise pour en parler que je ne suis pas chercheuse, ni universitaire, mais seulement chercheuse bibliographique autodidacte.
Je dénonce, depuis quelques années, ce qui devient de plus en plus apparent à travers les articles que je lis et les twittos médecins universitaires que je suis, notamment aux USA et également en France.
Nous nous sommes rendu compte, au cours de cette crise, à quel point les connaissances en sciences fondamentales nous faisaient défaut, en épidémiologie et cinétique des épidémies, en virologie, en immunologie…
Pour moi il y a deux doctrines en science. Celle de la fast-science, la science appliquée, celle qui vise à découvrir le plus vite possible des traitements et des procédures qui puissent être rapidement rentabilisées. Et peu importe si on ne comprend rien aux processus impliqués, le tout c’est que cela puisse se vendre.
C’est cette doctrine qui est à l’œuvre actuellement, avec une multiplication des essais cliniques. Plus de 300 essais cliniques seraient en cours. On essaie tout et n’importe quoi, en espérant tomber sur quelque chose qui marche.
On peut objecter que l’urgence du moment exige ce procédé. Mais le problème c’est que cela se passe de plus en plus comme ça tout le temps.
En Europe comme en Amérique du Nord, on attend de plus en plus des chercheurs qu’ils se muent en auto-entrepreneurs, on leur demande de faire la chasse aux crédits auprès d’entreprises privées, de faire des découvertes qui puissent être brevetées.
C’est un sujet majeur qui concerne les orientations de l’ensemble du système de recherche et ceux, parmi les chercheurs, qui ont un peu de recul et une approche critique, dénoncent le démantèlement de la recherche fondamentale au profit d’objectifs de court terme.
La slow-science, orientée vers la construction de connaissances et vers la science fondamentale est une approche radicalement différente de la fast-science. Elle n’intéresse pas les sociétés privées et ne peut être financée que par des crédits publics. Mais en coupant les crédits de recherche publics dans les pays développés, on est en train d’inféoder l’ensemble de la recherche à la doctrine et aux objectifs court-termistes des sociétés privées.
La recherche en sciences fondamentales est pour moi une approche qui a une valeur propre, une valeur de promotion et d’approfondissement des connaissances, totalement indépendante de sa valeur marchande.
Une étude sur le système SIGAPS (Système d’interrogation de gestion d’analyse des publications scientifiques), en vigueur en France, va nous permettre de comprendre comment les règles imposées peuvent modeler et orienter le comportement des chercheurs et banaliser les manquements à l’éthique scientifique.
Financement de la recherche : la quantité plutôt que la qualité
Les dérives provoquées dans la recherche médicale et biomédicale par le système SIGAPS, sont ici analysées par des chercheurs québécois :
Ce système, initié en 2008, visait d’abord à suivre les publications scientifiques en France, avant de se transformer en un système de surveillance et de financement de la recherche récompensant la performance quantitative plutôt que qualitative.
En fonction des points attribués à un article, du facteur d’impact de la revue dans laquelle l’article est publié, de la position du chercheur parmi les auteurs, des points qui valent de l’argent sont attribués.
Précisions concernant l’ordre des co-auteurs.
– le premier auteur est celui qui a le plus contribué à la recherche et à la rédaction, quel que soit son statut (chercheur, doctorant, chef de laboratoire…) ;
– en sciences du vivant, il est d’usage que le dernier auteur soit un scientifique qui a fourni son expertise, ou qui a guidé le travail de recherche et a été impliqué dans la conception de l’étude, l’interprétation des données ou la révision de la publication. Il peut être le responsable du projet de recherche ou du laboratoire, mais pas nécessairement.
Comme l’expliquent les auteurs, ce système de gestion comptable a, petit à petit, structuré la recherche française, orientant les publications vers des revues plus généralistes à plus fort facteur d’impact, réduisant les publications en langue française, favorisant la compétition entre CHU (Centres Hospitalo-Universitaires) également, aussi bien qu’ entre médecins. Mais surtout ce mode de gestion des financements a fait passer la qualité totalement au deuxième plan au profit de la quantité.
Comme il s’agit d’une mesure quantitative, on peut obtenir le même nombre de points en publiant un article dans une revue à fort facteur d’impact ou en en publiant plusieurs dans une revue à plus faible facteur d’impact.
C’est la faille que Didier Raoult a mis à profit en créant des revues propres à l’IHU (Institut Hospitalo_Universitaire de Marseille) et en publiant quantité d’articles de faible qualité.
D. Raoult n’est pas responsable de la mise en place du système SIGAPS, il se contente d’en tirer profit, tout en contribuant à la dégradation de la qualité des publications dans le domaine de la recherche médicale.
Les conséquences de ce système, exemple à ne pas suivre pour les chercheurs québécois, vont bien au delà de D. Raoult et favorisent la pression sur les chercheurs, la recherche de crédits privés et la baisse de qualité des publications.
Un dernier sujet est la manière dont les résultats de la recherche sont rapportés au public. Qui est en charge de cette transmission et comment s’assure-t-on qu’elle n’est pas influencée voire monopolisée par des intérêts privés?
Information scientifique sous contrôle d’entités privées
Yves Sciama, président de l’association des journalistes scientifiques français (AJSPI) prend position avec panache sur les coups portés à l’indépendance des journalistes, notamment à travers la création des Science Media Center.
Les Sciences Media Center se proposent d’être une sorte d’AFP (Agence France Presse) de la recherche, collectant de l’information scientifique auprès d'”experts” et la redistribuant aux médias. Le premier Science Media Center a été créé en Grande Bretagne avec un statut d’organisation à but non lucratif mais reçoit néanmoins des subventions de nombreuses entités privées, notamment de l’industrie pharmaceutique, dont elle prétend ne pas subir l’influence.
Pourtant elle a été critiquée dès sa fondation précisément pour son manque d’indépendance :
Yves Sciama s’inquiète du projet de créer une entité semblable en France en mettant en avant la différence entre “communiquer” et “informer”.
Il dénonce la confusion entre journalisme et communication. Le journaliste n’est pas un communicant, il n’est pas en charge de transmettre un message, éventuellement à visée promotionnelle (?). Il ose un parallèle provocateur.
Ce qui différencie le communicant du journaliste, outre le travail concret, est fondamentalement une question de loyauté: la loyauté du journaliste doit aller à son public à qui il doit une information fiable, celle du communicant va à celui qui le paye.
C’est une question éthique, certes, mais c’est une question éminemment politique, politique au sens noble. Parce que l’accès à une information fiable et indépendante est le dernier rempart qui se dresse entre notre société actuelle et une soft dictature.
La dérive qui menace l’information scientifique est devenue plus visible il y a un an avec la tribune “no fake science” où des chercheurs et des médecins, peut-être de bonne foi, ont cru que leur expertise les autorisait à prendre le contrôle de l’information scientifique. Ils avaient tort. Profondément tort.
Voici une autre critique circonstanciée des fondements de cette tribune:
Aujourd’hui on se retrouve avec la perspective d’une information scientifique sous le contrôle d’entités privées, entités qui ont été elles-mêmes convaincues à de multiples reprises de délit falsification de l’information scientifique (tabac et cancer, sucre et obésité, amiante …).
Falsification qui a eu a et aura de bien plus lourdes conséquences sanitaires que le Covid n’en aura jamais.
Et on se retrouve aussi avec une loi de programmation de la recherche qui vient d’être votée qui démolit le peu qui restait de recherche publique à visée de connaissance, c’est à dire de recherche fondamentale qui nous aurait été tant utile dans cette crise.
Qui précarise les chercheurs pour les mettre encore plus à la merci de financeurs privés et privilégie encore la recherche appliquée et les partenariats public privé au nom de la “compétitivité“.
“Compétitivité”, “innovation”, le vocable est déjà totalement calqué sur le vocable marketing utilisé par les grands groupes multinationaux. Le reste: l’état d’esprit; les objectifs de rentabilité, les règles, suivront.
Vouloir réduire et inféoder l’ensemble des institutions, des organismes publics aux règles, à la logique, à l’éthique (ou absence de), aux objectifs du secteur privé: on voit qu’on est à des millions d’année lumière d’une quelconque soit-disant “neutralité” scientifique et en plein dans l’idéologie.
Inféoder la recherche publique aux intérêts du secteur privé est bien un projet politique.
Croire en la neutralité de la science est un leurre. La science ne se limite pas à la technique et aux sciences appliquées. Elle est un outil au service d’un projet, un projet nécessairement politique, un projet de société, voire de civilisation. Et un outil dont une caractéristique essentielle est le doute méthodique et rationnel visant à permettre une meilleure compréhension du monde qui nous entoure.
Elle ne doit pas être réduite aux dimensions étriquées des ambitions à court terme de sociétés privées.
En ce sens, leur emprise croissante sur les orientations de la recherche et le projet qui les sous-tend devrait être une préoccupation de tous ceux qui sont soucieux du bien commun.
Pour aller plus loin
Twitter est un réseau social qui permet à l’utilisateur d’envoyer des messages courts (tweets) n’excédant pas 280 caractères (ce qui explique l’emploi fréquent d’abréviations). Un thread Twitter est une série de tweets qui se succèdent, émis par un même auteur pour former un contenu plus long. L’auteur peut d’ailleurs numéroter chaque tweet pour les ordonner. Cet article est une reprise sous format blog d’un thread Twitter dont voici l’origine :
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L’Institut National du Cancer censure comme” fake news” des informations en santé qui ne vont pas dans le sens officiel.
Au mois de mai 2020, les sociétés de rédacteurs dénonçaient la rubrique “Désinfox Coronavirus” lancée par le gouvernement (1). Les journalistes arguaient que “L’Etat n’est pas l’arbitre de l’information”.Ce site a été supprimé, mais la leçon n’a visiblement pas été retenue.
En effet l’Institut National du Cancer a décidé d’étudier la création d’un “CSA de la santé”, pour “instaurer des règles en matière d’information en santé Cancer (2).
Ce dispositif ne sera pas limité au champ du cancer, et concernera tous les blogs santé, tous les médecins blogueurs sur les réseaux sociaux (sites web, twitter, facebook), et tous les articles santé dans les média en ligne.
Un accord-cadre avec les hébergeurs de contenus (médias, réseaux sociaux) prévoit qu’ils fassent un “travail d’élimination des fake-news identifiées par un collège d’experts.”
Le dispositif de lutte contre les “fake news” fait partie des actions qui ont commencé en 2021. L’INCa pilote cette action, comme indiqué dans la feuille de route dans la stratégie décennale Plan Cancer 2021-2030.
(Fiche action I.2, action I.2.3, page 10, “Mettre en place un dispositif de lutte contre les fake news”) (3).
Ainsi, afin de mettre en pratique immédiatement cette action, l’Institut National du Cancer français qualifie d’emblée “d’Infox” la controverse internationale qui existe sur la balance bénéfices-risques du dépistage du cancer du sein.
C’est ce que l’on retrouve sur le site de l’INCa sous l’onglet : “éclairages, l’info derrière l’intox”, qui se présente avec le logo de la République Française (4).
L’Institut National du Cancer a depuis toujours, diffusé une information partisane et promotionnelle du dépistage du cancer du sein (5), faisant la part belle à l’efficacité du dépistage et minimisant le surdiagnostic et ses conséquences (surtraitements).
En décrétant que “le débat scientifique peut avoir une répercussion négative sur les femmes…”, l’INCa suit la même logique que l’Etat dans l’affaire du site “Désinfox Coronavirus” : s’arroger un rôle de censeur dans la production médiatique, et accorder une conformité aux seuls médias qui délivreront l’information sélectionnée par les « experts » de l’Institut.
En qualifiant d’infox toute contradiction scientifique, en désignant comme” fake news” des informations qui ne vont pas dans le sens officiel, en faisant faire par des “experts” “un travail d’élimination” de tout ce qu’il estimera contraire à sa propre communication, L’INCa exercera tout simplement de la censure, dans un pays où la liberté d’expression et la liberté de la presse sont des libertés fondamentales.
1 http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2020/05/05/le-gouvernement-supprime-sa-page-controversee-desinfox-coronavirus_6038753_3236.html
2 consultation-cancer.fr/consultations/axe-1-ameliorer-la-prevention/consultation/consultation/opinions/2-prendre-ensemble-le-virage-preventif/mesures-proposees/mettre-en-place-un-dispositif-de-lutte-contre-les-fake-news
3 http://www.e-cancer.fr/Institut-national-du-cancer/Strategie-de-lutte-contre-les-cancers-en-France/La-strategie-decennale-de-lutte-contre-les-cancers-2021-2030/Le-lancement-de-la-strategie
4 leseclairages.e-cancer.fr/
5 pratiques.fr/Aveugles-et-Sourds