En omettant de déclarer les conflits d’intérêts des personnes et des structures qui le composent, l’«appel des 50» ne respecte pas la loi en vigueur. Si cette loi existe, c’est pour que le destinataire d’un message de santé puisse disposer d’éléments d’appréciation, en fonction des relations que l’émetteur du message entretient avec les industriels.
Nous publions ici de quoi combler ce manque afin d’éclairer nos concitoyens. Il s’agit d’un travail de recherche basé sur les signataires de l’appel établi avec le moteur Eurosfordocs1Le choix s’est porté sur cet outil qui présente un net avantage ergonomique (pour en savoir plus, également ici). Ce dernier retraite les données open source de la base officielle transparence.sante.gouv.fr, permettant à tout un chacun de connaître les montants alloués par les industriels aux acteurs du secteur de la santé.
Voir aussi :
Vaccination universelle contre le papillomavirus : version courte
Vaccination universelle contre le papillomavirus : argumentaire (1)
Présentation des résultats
La période étudiée s’étale de 2012 à 2018. Les montants affichés correspondent à la somme des avantages (repas, transports, cadeaux…) et des rémunérations déclarée perçue par les structures ou les professionnels.
Les résultats figurent dans un tableau en fin d’analyse. Il reprend la même disposition que celle de l’appel.
- En colonne 1, sont affichés les montants versés à la structure en regard par les laboratoires producteurs de vaccin HPV : GSK (Cervarix®), Sanofi Pasteur MSD (Gardasil® jusqu’en 2016) et MSD2NB : MSD est le nom de la société américaine Merck & Co. en dehors des USA et du Canada (Gardasil® et Gardasil 9®). Suite à des arrangements financiers, AstraZeneca et GSK perçoivent des droits à hauteur d’un pourcentage tenu secret sur les ventes du Gardasil®3Riva C, Spinosa JP. La piqûre de trop ? Pourquoi vaccine-t-on les jeunes filles contre le cancer de l’utérus ?. Ed. Xenia, mars 2010, Vevey, p28, 29. AstraZeneca n’a pas été inclu dans l’étude.
- En colonne 2, sont affichés les montants versés à la structure en regard par l’ensemble des entreprises de santé.
- En colonne 3, sont affichés les montants versés au représentant de la structure en regard par les laboratoires producteurs de vaccin HPV.
- Enfin, en colonne 4, sont affichés les montants versés au représentant de la structure en regard par l’ensemble des entreprises de santé.
- Le signe « – » signifie que la structure ou le professionnel est introuvable sur la base. Et « 0 », signifie que la structure ou le professionnel est enregistré sur la base et qu’il n’y a pas de montant déclaré.
Des montants sous-estimés
Malheureusement, basés sur les déclarations des industriels, ces montants sont sous-estimés et ce, pour trois raisons.
Tout d’abord, du fait qu’une proportion importante des rémunérations de contrats déclarés dans la base est gardée secrète, alors que les avantages sont plus systématiquement déclarés4Plus de transparence Mme la Ministre ! site du Formindep, 11/05/16.
Or, les montants des rémunérations de ces contrats sont bien supérieurs à ceux des avantages (30 euros pour un repas, 400 euros pour un billet d’avion par exemple, contre 1000 euros pour un contrat d’orateur, plusieurs dizaines de milliers d’euros pour la participation à un board5Un board est un comité médical consultatif organisé par un laboratoire où un médecin est amené à siéger pour donner son avis sur des traitements, sous couvert d’avis scientifique mais en réalité dans une optique de stratégie commerciale.). On doit cela à notre Ministère de la Santé qui a entravé autant qu’il a pu la pleine application de la loi.
Ensuite, du fait du défaut de standardisation de l’intitulé des structures et des professionnels qui rend la recherche aléatoire. En effet, on peut les retrouver sous plusieurs dénominations. Par exemple : pour le Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français» on trouve (au moins) 17 intitulés différents. En minuscule/majuscule, avec/sans accent, accolé du sigle ou non, avec/sans faute de frappe.
Enfin, un phénomène de sous déclaration est régulièrement constaté (en rapprochant la base Transparence avec des déclarations personnelles), il est difficilement quantifiable, mais nous allons en prendre la mesure.
Le choix des signataires
En préambule de l’analyse chiffrée, à la lecture attentive des signataires, quelques lignes posent question. Est-il pertinent, s’agissant de donner un avis sur un cancer gynécologique et un vaccin censé le prévenir destiné aux adolescents, de retrouver dans la liste des signataires :
un professeur d’urologie, la Société Française de Néonatologie, l’Association Nationale des Puéricultrices(teurs) Diplômé(e)s et des Étudiants, la Société Francophone de Greffe de Moëlle et de Thérapie Cellulaire, l’Association Française des Directeurs de Soins, le Collège de Liaison des Internes en Santé Publique, la Société Française d’Hygiène Hospitalière, une association dite de patients concernant la méningite (…!), la Société de Médecine des Voyages, l’Académie des Sciences Infirmières, le Collège Infirmier Français, et, pas le moins curieux, la Société Française de Gériatrie et Gérontologie?
On pourrait également se demander si les syndicats professionnels ont leur place ici quand on sait leur rôle, essentiellement dévolu à la défense des intérêts de leur profession. N’étant pas dotés de conseils scientifiques, on peut objecter leur manque de légitimité.
Si on met de côté ces signataires (surlignées en rose dans le tableau), l’appel deviendrait l’«appel des 50» moins 20. Ce qu’on gagnerait en pertinence, on le perdrait en effet de masse.
Penchons-nous maintenant sur les résultats de nos recherches.
Une certaine puissance financière et stratégique
Sur la base Transparence, avec les limites que nous avons évoquées plus haut, nous évaluons les versements de Sanofi Pasteur MSD, MSD et GSK aux signataires de l’appel à :
1 611 066 euros
Cette somme se répartit entre les professionnels ayant reçu 223 765 euros et les structures qui ont reçu 1 387 301 euros. Dans le même temps, les versements de l’ensemble des laboratoires aux signataires est de : 9 760 443 euros.
Pour se donner une idée de ce que ces laboratoires ont investi dans le même temps pour la promotion de leurs produits, voici la somme versée par les mêmes élargie à l’ensemble des acteurs de santé :
420 041 772 euros6Résultat de la requête Eurosfordocs.fr (il faut ouvrir un compte gratuit pour accéder au lien)
N.B. : il faut interpréter ces chiffres avec précautions. Garder en tête que les données extraites de la base présentent un défaut de formatage, les bénéficiaires peuvent être mal catégorisés. Autrement, les industriels en question ne produisent pas que des vaccins anti-HPV, donc seule une partie de ces sommes concerne directement l’appel.
A l’inverse, il faut noter que seuls 14% des contrats ont leur montant renseigné sur cette requête (70 439 sur 495 589 contrats), ce qui sous-estime grandement notre calcul.
La ventilation de cette somme par catégorie de bénéficiaire nous rappelle que les structures, les associations et les professionnels ne sont pas les seuls concernés (graphique ci-dessous).
Les medias et sociétés de communication tiennent la première place du tableau, matérialisant le rôle prééminent de la promotion sur d’autres aspects fondamentaux comme la recherche.
C’est d’ailleurs dans cette catégorie que rentre la société LJ Communication qui a eu la charge de relayer l’«appel des 50». Elle est identifiée par une étude du Centre d’Études et de Recherches Administratives, Politiques et Sociales (UMR 8026) du CNRS, Lille2 (CERAPS) comme l’un des 155 cabinets ou agences de lobbying français7Courty G. Le lobbying en France. Invention et normalisation d’une pratique politique, 2017..
Elle a entre autres pour clients MSD et GlaxoSmithKline, qui commercialisent les vaccins anti-HPV en France, mais aussi AstraZeneca, co-détenteur des brevets des trois vaccins commercialisés.
On peut aussi donner de la perspective à ces chiffres estimant la proportion du chiffre d’affaires de l’industrie du médicament en France (54 milliards d’euros en 2017 selon le LEEM) dévolue à la promotion. Il est admis qu’elle est d’au moins 20%, et peut atteindre jusqu’à 40% du CA. Il faut inclure dans la promotion toutes les dépenses internes des entreprises, en plus des sommes visibles sur la base Transparence-Santé destinées aux sociétés de communications, journaux, structures et professionnels8Pour en savoir plus : “Comprendre la promotion pharmaceutique et y répondre“, Guide OMS, HAI, traduit par l’HAS, 2/04/13..
En prenant l’estimation basse de 20%, l’ensemble des industriels opérant en France dépenseraient, selon notre approximation, 10,8 milliards d’euros par an. La société Cégedim, quant à elle, estime cette dépense autour de 3 milliards d’euros par an. Sur la période de 2012 à 2018, soit sur une période de sept ans, selon une fourchette large, les industriels du médicaments auraient donc dépensé en France :
entre 21 et 75 milliards d’euros pour la promotion
Les personnalités
Le premier réflexe qui vient est de vérifier les conflits d’intérêts des professionnels mis en avant, ceux que l’on nomme les «leaders d’opinions». Nous les retrouvons dans la rubrique «Personnalités», ils sont au nombre de cinq.
Si l’on s’en tient uniquement aux données extraites dans la base Transparence, seul un d’entre-eux se trouve en situation de conflit d’intérêts (CI), pour un montant relativement faible. Le Pr René Frydman a perçu 2 316 euros des trois laboratoires, une somme minime sur le total de 134 249 euros perçus de l’ensemble des industriels.
Mais, comme nous allons le découvrir, l’essentiel n’est pas sur Transparence.
Alain Fischer, immunologue, figure dans le tableau des personnalités. On ne constate pas de conflit d’intérêt avec les laboratoires producteurs de vaccins anti-HPV dans la base Transparence.
Signalons un prix de Sanofi Pasteur MSD de 100 000 euros obtenu en 2013 à titre personnel.
Autrement, notons qu’en novembre 2016, alors président de la commission d’orientation de la concertation citoyenne sur la vaccination, il est passé outre les questions de transparence et d’indépendance soulevées par des participants au sujet des membres de la dite commission9Une concertation citoyenne sur les vaccins déconcertante. Le Monde, 9/12/16. L’association Formindep relève qu’à cette occasion, il s’est exprimé en faveur de la vaccination pour les garçons contre le HPV, il a même imposé «cette idée personnelle dans le rapport final, bien qu’elle n’ait pourtant été évoquée ni par les contributions citoyennes ni par aucun des deux jurys».10L’obligation, c’est la décision éclairée. site du Formindep, 3/12/16
Claire-Anne Siegrist, pédiatre et vaccinologue suisse, n’est pas présente dans la base française Transparence. En élargissant la recherche, plusieurs déclarations font état de liens anciens ou plus récents (ici et la) : son équipe a reçu des fonds pour la recherche de la part de Sanofi Pasteur MSD et de GSK, et elle a reçu également des deux industriels des rémunérations personnelles pour la participation à des boards ou à des congrès.
Elle est considérée comme un leader d’opinion en Suisse et anime également le site Infovac. Nous y reviendrons.
Sur la base de notre tableau, Guy Vallancien, lui non plus n’est pas en situation de conflit d’intérêt. Pourtant, on peut apprendre sur son propre site ses liens d’intérêts avec de nombreux industriels qui passent manifestement sous les radars de Transparence. L’association Formindep a déjà repéré qu’il est un «influenceur de premier plan» de par son poste de président et sociétaire du CHAM, une société de relations publiques dans le domaine de la santé qui contractualise avec les industriels. Au minimum, un conflit d’intérêt indirect est objectivé sur Transparence par l’intermédiaire de cette société qui a perçu 42 019 euros de MSD (non pris en compte dans notre total).
Un autre leader d’opinion est présent dans la liste des 50 en tant que coordinateur d’Infovac. Il s’agit du pédiatre Robert Cohen habitué des plateaux TV. Par décision rendue publique par affichage le 29 novembre 2018, la Chambre disciplinaire de première instance d’Île-De-France de l’Ordre des médecins a prononcé la sanction de l’avertissement à l’encontre du Docteur Robert Cohen pour ne pas avoir fait mention de ses liens d’intérêts, qui « sont patents », avec les fabricants de vaccins « Pfizer, GSK, Sanofi Pasteur MSD et Novartis »11Association E3M c/Dr Robert COHEN CD94 – N°7173, 29 novembre 2018; audience du 23 octobre 2018. Si on considère ses 27 420 euros de conflits d’intérêts non déclarés par rapport à l’objet de l’«appel des 50», il pourrait être jugé récidiviste. Mais laissons le Conseil de l’Ordre apprécier ce manquement. Sinon, sa fiche «d’expertise et de liens d’intérêts» sur Infovac nous informe également de ses nombreux liens avec les producteurs de l’ensemble des vaccins.
Plusieurs experts d’Infovac sont signataires de l’«appel des 50» :
- Le Pr Joël Gaudelus, représentant du Groupe de Pathologies Infectieuses Pédiatriques pour un montant de 30 596 euros de conflits d’intérêts. Il déclare participer aux boards de GSK et AstraZeneca, et réalise des conférences pour ces dernier ainsi que pour Sanofi Pasteur MSD et Pfizer.
- Pierre Begué, représentant dans l’appel de l’Académie Nationale de Médecine, peu concerné (236 euros de CI),
- Odile Launay, infectiologue, réprésentante du CMIT et de la SPLIF : 5 812 euros de CI, investigatrice d’études pour SPMSD, GSK, Pfizer, Janssen et participant aux boards des mêmes (déclaration),
- Brigitte Virey, représentante du Syndicat National des Pédiatres Français : 12 840 euros de CI,
- François Vié-Le Sage, pédiatre, représentant de l’AFPA : 16 516 euros de CI. Sa déclaration d’intérêts, qui vaut la consultation, innove en présentant des «liens d’intérêts négatifs». «Investigateur dans des études de phase III et IV, Congres, symposium, travaux de recherche, groupes de travail et de conseil scientifique à titre d’expert indépendant : GSK, SPMSD, MSD, Pfizer».
De la formation continue sous influence
Infovac
En reprenant les termes du site internet, Infovac est une «ligne directe d’information et de consultation sur les vaccinations créée en Janvier 2003 en collaboration avec InfoVac-Suisse, ACTIV et le Groupe de Pathologie Infectieuse Pédiatrique de la Société Française de Pédiatrie». Il s’agit d’un groupe d’experts pédiatres spécialisés en vaccinologie qui fait référence auprès des confrères pédiatres, de PMI et généralistes.
Si il est affirmé «les experts d’InfoVac-France sont indépendants des firmes pharmaceutiques», il est dit également le contraire dans la phrase suivante : «Les liens d’intérêts qu’ils peuvent entretenir avec elles, par le biais de conférences ou de conseils en leur qualité d’expert dans leurs domaines respectifs, ne sont pas pour autant sources de conflits d’intérêts !».
Si on reprend les déclarations individuelles de chaque expert, on comprend mieux la deuxième phrase : les experts d’Infovac sont quasiment tous en conflit d’intérêt avec les producteurs de vaccins et à un niveau important (participation à des boards, avantages et participation à des études cliniques). Nous retrouvons parmi eux Robert COHEN et Claire-Anne SIEGRIST qui coordonnent les experts Infovac France.
Si on s’en tient aux données de la base Transparence, on ne retrouve pas de lien direct entre Infovac et les industriels. Alors, penchons nous sur l’association ACTIV, qui est, d’après le site, co-créatrice d’Infovac et gestionnaire des comptes d’Infovac-France.
ACTIV pour Association Clinique et Thérapeutique Infantile du Val de Marne. Il s’agit d’une association « loi 1901 » créée en 1988 par plusieurs pédiatres, dont Robert COHEN qui en est aujourd’hui le directeur scientifique. Son but est de promouvoir les études cliniques et épidémiologiques, la recherche diagnostique et thérapeutique en pathologie pédiatrique, à l’initiative notamment de l’industrie pharmaceutique. Selon la base Eurosfordocs, pas moins de 765 529 euros ont été attribués à ACTIV par les 3 producteurs de vaccins HPV.
Considération purement comptable, ACTIV, qui n’est pas signataire de l’appel, du moins, pas directement, représente environ la moitié des conflits d’intérêts des 50 en montant (elle n’a pas été inclue dans notre décompte). Deuxième considération comptable, seulement la moitié des montants des contrats sont renseignés sur la base Transparence (13 sur 26).
Gynécole
Gynécole est une société de formation continue de gynécologie. S’adressant aux généralistes, gynécologues, sage-femmes, endocrinologues, elle propose des formations en ligne ou présentielles.
Sur la page «webconf» (accès restreint aux professionnels), on trouve des vidéos de cours en ligne. Dans une ambiance conviviale, les deux créateurs du site, David Elia et Christian Janin, tous deux gynécologues, présentent des sujets au goût du jour. Datées du 6 novembre 2017 au 10 octobre 2018, les cinq derniers cours portent uniquement sur la vaccination HPV : «Résistance à la VACCINATION HPV» où une maître de conférence en psychologie de la santé est invitée sur le plateau pour enseigner comment convaincre les patients récalcitrants, «HPV: Il était une fois le col, la langue, le larynx…», …
Sinon, Gynecole s’est associée à l’AFML, association de formation continue du SML (Syndicat des Médecins Libéraux), pour proposer des formations validantes DPC. En effet, les médecins doivent effectuer un certain nombre d’heures de formations obligatoires depuis quelques années. L’organisme qui valide les organismes de formation et le contenu des cours s’appelle l’ANDPC et l’agence est moins tolérante sur la question des conflits d’intérêts depuis 2016.
Est-ce pour cette raison que Gynécole s’est associée à un organisme qui a obtenu son agrément? En tous cas, avec 187 176 euros de CI dans la base Transparence, Gynecole n’aurait pas obtenu le sien selon les règles en vigueur.
David Elia qui est le représentant de la société présente sur Transparence 12 561 euros de CI. Selon sa déclaration sur le site, il «assure ou a assuré dans le passé proche des actions d’expertise et/ou d’assistance et/ou de conseil pour : Sanofi Pasteur, Abbot, Teva,Hepatoum,Serelys Pharma,BRS,HRA Pharma».
Eurogin
Parmi les structures signataires, EUROGIN, EUropean Research Organisation on Genital Infection and Neoplasia, tient une place particulière. EUROGIN organise un rassemblement pluridisciplinaire annuel sur les cancers gynécologiques induits par les infections à HPV. Les plus grands spécialistes des papillomavirus, gynécologues, dermatologues, biologistes ou cancérologues y participent.
Au niveau de la base Transparence, on relève un montant de 92 225 euros provenant de Sanofi Pasteur MSD et MSD. Son maître de cérémonie est le Dr Joseph Monsonego dont nous aborderons le rôle dans la création d’associations de patients plus loin. Il a coordonné les essais cliniques du Gardasil® et de son concurrent Cervarix® en France, et encore en 2014, il siégeait au comité de pilotage de MSD et au conseil scientifique de Sanofi12Dalbergue B et Barret A-L. Omerta dans les labos pharmaceutiques. Ed Flammarion, 2014, p 269.. Pour l’édition 2019, il est le président du comité scientifique, et c’est son nom qui est affiché comme responsable dans l’appel des 50. EUROGIN est d’ailleurs domiciliée à l’adresse du cabinet du médecin.
Sanofi Pasteur et MSD sont de longue date les partenaires du congrès – MSD est annoncé comme «Platinium Sponsor» en 2019 – et ils ont également rémunéré l’épouse du Dr Monsonego, Messody Monsonego, en charge de l’organisation du congrès via Eurovir, une société unipersonnelle à responsabilité limitée12.
Dirigées par des leaders d’opinion incontournables, en situation de conflits d’intérêts patents, et financées directement ou non par les laboratoires producteurs de vaccins, les voix influentes de ces organismes ne sont pas neutres. Or, elles ont l’oreille de nombreux confrères qui voient en elles des références fiables dans une discipline médicale en constante évolution.
Les associations
Abordons maintenant les associations mises en avant comme associations de patients/parents ou de dépistage. Il est probable que le lecteur de l’appel entrevoit surtout dans cette section la noblesse du bénévolat et la légitimité de l’usager de soins.
ECL
Comme vu plus haut, la présence d’une association Petit Ange contre la méningite interroge de par sa pertinence au sein d’un collectif qui appelle à la vaccination universelle contre le papillomavirus. Notons tout de même qu’elle est en situation de conflit d’intérêt à hauteur de 8 600 euros.
1000 femmes 1000 vies
En 2007, d’après l’enquête de la journaliste Anne-Laure Barret, c’est le Dr Joseph Monsonego, très lié avec Sanofi Pasteur MSD, comme nous l’avons vu, qui crée l’association 1000 femmes 1000 vies, avec une marraine de renom, Simone Veil12. D’ailleurs, le siège de l’association n’est autre que le cabinet du gynécologue, qui est également le siège d’EUROGIN, la société organisatrice de congrès.
En 2012, le site de l’association informait que son financement provenait d’entreprises privées sans précisions, alors qu’en 2011 et 2010, on y lisait que Sanofi Pasteur MSD l’avait dotée de respectivement 95 000 euros et 35 000 euros12. Entre 2012 et 2018, la base Transparence fait état de seulement 40 000 euros de versements.
Aujourd’hui, sur le site internet, au niveau de la rubrique Conflit d’intérêt, il est reconnu un financement industriel : «L’association 1000femmes1000vies reçoit des dons de particuliers, de structures privées ou de l’industrie pharmaceutique. Le Dr Monsonego a coordonné, pour la France, les essais cliniques des vaccins HPV quadrivalents et bivalents. Il a participé au comité médical consultatif de Merck, GSK, Gen-Probe et Roche Diagnostics. Les autres membres du Conseil d’Administration n’ont pas de conflit d’intérêt.»
Si on cherche à s’intéresser à la vie de l’association, on ne trouve pas de détails concernant son financement, pas de compte-rendu ou de convocation d’AG. Les animateurs de l’association sont présentés au niveau de la page fonctionnement : ce ne sont que des professionnels. Un bureau seulement composé d’un président d’«honneur» Joseph Monsonego et une chirurgienne sans fonction définie. Il est épaulé par un conseil scientifique composé de pas moins de 41 médecins. La présence du citoyen-patient semble artificielle, représentée par des photos de femmes que l’on pourrait prendre pour des modèles américains. Si on prend le temps de faire défiler la page «Témoignages» (consultée le 28/04/19), on se rend compte que le même texte est répété 88 fois et que seul son intitulé change.
Une page reprend l’historique de l’association, et une tout autre version que celle de la journaliste Anne-Laure Barret est donnée : «En mars 2007, cinq femmes toutes concernées par le cancer du col de l’utérus, professionnellement ou personnellement décident de créer l’association «1000 femmes, 1000 vies»». La trace de leurs noms est introuvable.
Pour mémoire, 2007, c’est l’année du lancement des vaccins contre le HPV en France.
WACC
Une autre association présente à l’«appel des 50» a pour nom WACC : Women Against Cervical Cancer. Avec un tel nom, on penserait à un mouvement créé et géré par des femmes activistes. Il n’en est rien. Anne-Laure Barret relate12 : «1000 femmes 1000 vies est adossée à une seconde structure, elle aussi fondée et présidée par Joseph Monsonego : Women against cervical cancer, un réseau international d’experts médicaux et d’associations de patientes. Cette fondation basée à Genève, en Suisse, est également financée par Sanofi Pasteur MSD : à hauteur de 95 000 euros pour 2011 et de 70 000 euros en 2010. Malgré ces liens financiers, le gynécologue réfute l’idée que ces structures aient pu servir de supports publicitaires masqués pour le Gardasil : «Pourquoi avoir créé des associations à ces dates là? Parce que l’arrivée du vaccin pouvait accréditer, auprès des femmes jeunes, l’idée que ces virus donnaient forcément le cancer. J’ai donc développé des outils d’éducation pour battre en brèche cette fausse épée de Damoclès. Il suffit de parcourir les sites de ces associations pour se rendre compte qu’il n’y a pas un mot sur les vaccins. L’objectif, c’est d’abord d’informer sur le dépistage.»»
Les propos de Joseph Monsonego ont le mérite d’être clairs : «J’ai donc développé des outils d’éducation». Ils réfutent l’affichage d’une association portée par des patients.
Et pour WACC, dans la liste de l’«appel des 50», aucun responsable n’est désigné et l’adresse web renseignée, www.wacc.org, est inexistante (au 26/04/19). Une recherche permet de retrouver l’adresse d’un site vide : http://www.wacc-network.org/. Pas de trace sur Transparence. La page Facebook, quant à elle, est bien existante, mais aucun post n’a été publié depuis…2011.
EVE
Fondée en 1990, l’association EVE, pour la prévention du cancer du col de l’utérus (CCU), constitue la base opérationnelle sur laquelle repose le dépistage organisé du CCU dans la région Alsace où il est en place depuis les années 1990. Ce dépistage doit être généralisé au plan national et l’association EVE fait office d’exemple.
Sur le site internet de l’association, dans la section témoignages, la vaccination HPV est mise en avant, autrement, une rubrique lui est consacrée. Les partenaires mentionnés sont essentiellement institutionnels (CPAM, MSA, Conseils Départementaux, ARS, INCA, La Ligue…). D’autres soutiens d’entreprises privées sont listés, mais ici pas de laboratoire pharmaceutique. Les mentions légales précisent que l’association reçoit des dons de particuliers ou de structures privées.
Donc, aucun conflit d’intérêt n’est déclaré sur le site, alors qu’une recherche sur Transparence retrouve un financement par les 3 sociétés productrices de vaccins anti-HPV à hauteur de 217 702 euros pour l’association.
Dans la déclaration des liens d’intérêts du site, il est signalé que le Dr Fender, qui est le directeur de l’association et son représentant pour l’«appel des 50», participe à une étude financée par Sanofi Pasteur MSD. Pas d’autre déclaration la concernant. Or, la base Transparence fait état de 5 198 euros d’avantages et rémunérations constituant un conflit d’intérêts avec l’objet de l’appel des 50.
Toujours sur le site de l’association, il est également mentionné que le Pr Baldauf, le président de l’association, participe à la même étude et qu’il est également conférencier pour SPMSD et GSK. Ce qui est confirmé par la base Transparence : 77 334 euros provenant de ces laboratoires ont étés déclarés (le Pr Baldauf n’étant pas signataire, cette somme ne sera pas reprise dans notre décompte).
Autrement, on trouve ce dernier cité dans le livre de la journaliste Virginie Belle : «Dans une tribune parue en février 2012 sur le site du Figaro, le professeur Jean-Jacques Baldauf fait clairement la promotion de la vaccination en prévention du cancer du col de l’uterus. Seul problème, il omet de préciser qu’il est l’investigateur principal pour le GARDASIL®, et financé à ce litre par Sanofi Pasteur MSD, jusqu’en 2018 et a une activité de conseil sur le CERVARIX®de GSK ! ».
Imagyn
Selon l’historique de son site internet, l’association IMAGYN, quant à elle, a été créée en 2014 par une dizaine de patientes atteintes de cancers gynécologiques. Son but est de : sensibiliser, partager, soutenir, informer et faire avancer la recherche sur les cancers gynécologiques. En 2018, IMAGYN déclare compter 124 adhérents et fonctionner avec une équipe uniquement composée de bénévoles.
Bureau et Conseil d’administration sont composés presque exclusivement de femmes et près de la moitié d’entre elles a présenté un cancer, d’après les fiches profil. On ne distingue que deux professionnelles sur 18 profils composant l’équipe : une oncologue et Coralie Marjollet, une femme «investie depuis longtemps dans la recherche clinique contre les cancers gynéco».
Cette dernière, Vice-Présidente d’IMAGYN, occupe en fait le poste de responsable rédactionnel et communication chez ARCAGY-GINECO selon l’organigramme de cette société. Il se trouve également que la trésorière adjointe occupe un poste dans la même société où elle occupe le poste de gestionnaire d’études cliniques et assistante administrative selon sa fiche LinkedIn (nécessite d’avoir un compte LinkedIn).
ARCAGY-GINECO est un groupement dont l’objet est la recherche clinique dans le domaine de la cancérologie gynécologique. La proximité avec IMAGYN est telle qu’avant mars 2018, son site était totalement intégré à celui du groupe (cf page internet archivée sur web.archive). Autre signe, dans la base Transparence, un des intitulés désignant l’association est «IMAGYN-GINECO».
En 2017, IMAGYN a mené une campagne médiatisée pour la prise en charge par l’Assurance-maladie de l’Avastin® dans le cancer du col avancé, indication pour laquelle les autorités sanitaires n’avaient pas jugée la balance bénéfice-risque suffisamment favorable. Or, l’Avastin® est un traitement de Roche et le laboratoire est présenté comme soutien majeur d’ARCAGY, ainsi que d’IMAGYN. Dès lors, une question se pose : l’une n’est-elle que l’émanation de l’autre?
Plus largement, les liens d’ARCAGY-GINECO avec l’ensemble des industriels sont conséquents, puisque l’on retrouve, sur Transparence, 4 293 870 euros de versements, dont 528 220 euros de la part de MSD.
Sur la page des partenariats d’IMAGYN, figure également MSD dont on objective le lien financier direct sur Transparence à hauteur de 23 000 euros.
HPV Maintenant!
Le collectif HPV Maintenant! est représenté par le biologiste Richard Fabre, dirigeant de regroupements de laboratoires d’analyse médicale. Ce dernier est également président de l’Association des Entreprises de Biologie Médicale (AEBM), un «Think Tank» dédié à la biologie médicale indépendante, au travers duquel il a déjà plaidé, aux côtés de 1000femmes1000vies, pour la généralisation du test HPV dans le dépistage du CCU.
Sur le site du collectif, l’objet est clairement déclaré : «Notre collectif HPV Maintenant ! regroupe médecins, biologistes, témoins et patientes qui se mobilisent pour convaincre la Ministre de la santé d’inscrire dès maintenant le test HPV en dépistage primaire dans le cadre du dépistage national du cancer du col de l’utérus.»
Dans la barre de navigation du site, un onglet est dédié aux relations avec la presse. On y apprend que la communication du collectif est dévolue à l’agence PRPA, une agence de relation de presse qui se dit spécialiste de la santé. C’est également cette agence qui a conçu et développé le site du collectif avec l’agence LIMITE. Les deux contacts presse renseignés sur le site du collectif sont ceux de la présidente de l’agence PRPA et de sa responsable communication institutionnelle. On dispose de leurs numéros de téléphone et mails individuels, ce qui n’est pas le cas des membres du collectif «HPV Maintenant!». La revue de presse compte pas moins de 36 reprises dans les medias et internet de la campagne lancée le 18 avril 2019 en faveur du test HPV (page consultée le 26/04/2019), ce qui témoigne de son efficacité.
Sur le reste du site de HPV Maintenant!, aucun récit de la vie du collectif, pas de trace d’un agenda de rencontres, de compte-rendus de réunions ou de détails concernant son financement. En revanche, un grand soin est porté à la pédagogie concernant la nécessité d’étendre l’utilisation du test HPV, qui est l’une des demandes principales des 50.
La base Transparence ne révèle pas de liens significatifs avec les producteurs de vaccins, que ce soit pour le collectif ou pour son représentant. Notre recherche n’a pas porté sur les producteurs de test HPV.
Au final, quatre des associations étudiées ont des conflits d’intérêts directs et deux d’entre elles sont en relation étroite avec un leader d’opinion qui déclare les avoir créées. La signature d’associations ou de groupements d’usagers plus indépendants comme l’UFC-Que Choisir ou France Assos Santé aurait pu donner à l’«appel des 50» un peu plus de crédibilité. Mais, leurs positions sur la vaccination HPV (ici et là) sont prudentes. Est-ce la raison qui fait qu’on ne les retrouve pas dans l’appel?
Le règne du ghost management
L’analyse non exhaustive des conflits d’intérêts de l’«appel des 50» nous montre à quel point les laboratoires ont mis en place un réseau d’influence dense et complexe dont nous n’avons abordé que la partie leaders d’opinions, sociétés savantes et associations de patients.
Il ne se limite pas à ces sphères. Dans un travail présenté en poster13Extrait ci-dessus. Mapping Ghost Management in Medical Research and Public Health. Poster presented at PODC2018 Catherine Riva & Serena Tinari. PODC2018 : 10.1136/bmjebm-2018-111070.105, les journalistes Catherine Riva et Serena Tinari ont dessiné la carte de ce réseau tentaculaire qu’elles décrivent ainsi :
«Dans les pays occidentaux, le succès fulgurant de la vaccination à papillomavirus incarne une nouvelle ère du marketing pharmaceutique et du ghost management14Ghost Management : terme employé pour parler de l’influence de l’industrie pharmaceutique : un management total, une gestion invisible, mais omniprésente, de tous les niveaux de la recherche, de la formation et l’information médicale. Site Pharmacritique. Un imposant dispositif alliant communication, lobbying et conflits d’intérêts a été déployé avant, pendant et après le processus d’approbation du vaccin. Grâce à une stratégie de capture en réseau, le ghost management en faveur de la vaccination HPV a réussi à neutraliser tous les acteurs qui auraient pu freiner les ambitions de l’industrie pharmaceutique. Un impressionnant dédale d’influence a permis de contrôler les autorités de régulation, les organes de santé publique, les revues médicales, les médecins et les experts. Le ghost management a permis ici une captation efficaces des medias, de la société civile et du législatif, réussissant même à neutraliser une présumée concurrence sur le marché.»
Références
- Débat organisé en 2011 par Philippe de Chazournes et Med’Océan à l’Assemblée nationale avec Catherine Riva et Jean-Pierre Spinoza, auteurs du livre “La piqûre de trop”. Cette vidéo montre que la plupart des arguments que nous avançons ici étaient déjà connus à l’époque
- Riva C, Spinosa JP. La piqûre de trop ? Pourquoi vaccine-t-on les jeunes filles contre le cancer du col de l’utérus ?. Ed. Xenia, mars 2010, Vevey,p. 28, 29.
- Bernard Dalbergue, médecin, ex-cadre chez Merck, a dénoncé les pratiques de ses employeurs dans deux documents rares et étayés :
- Dalbergue B, Barret A-L. Omerta dans les labos pharmaceutiques. Ed Flammarion, 2014 – le dernier chapitre est consacré au lancement du Gardasil®
- Icard R. Médicaments sous influence. documentaire, diffusion France5 le 10/02/2015 – à 40min, le sujet sur le Gardasil® met l’accent sur la capture du politique
- Dalbergue B, Barret A-L. Omerta dans les labos pharmaceutiques. Ed Flammarion, 2014 – le dernier chapitre est consacré au lancement du Gardasil®
- Belle V. Faut-il faire vacciner son enfant? Ed. Max Milo. 2012 – le chapitre VI – politiques vaccinales : la grande collusion des intérêts publics/privés – décrit les conflits d’intérêts dans la politique vaccinale française
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